Notice publiée dans le Dictionnaire encyclopédique Antilles-Guyane, Fort-de-France, 1992-1998 (© D. Chathuant)

« Guadeloupéen apparenté à Melville-Bloncourt et Max-Clainville Bloncourt. Combattant de 1914-1918, aveugle de guerre, professeur, député de l’Aisne et cadre de la résistance française (Basse-Terre, 1896 ; Antony, 1978)

Elie Bloncourt est né le 5 mai 1896 à Basse-Terre. Il fut élevé par sa mère dans une famille de six enfants. Boursier, il obtint son baccalauréat en 1913, au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre mais la mort de sa mère l’empêcha de continuer ses études.

Mobilisé en 1915 à la suite des lois sur la conscription coloniale, il combattit dans les Dardanelles, à Salonique et en Macédoine. Une permission lui permit de revenir en Guadeloupe en 1917 et de s’y marier avant de repartir pour la région de Verdun sans attendre la naissance de son fils. Il combattit ensuite dans le département de l’Aisne, au sein de la division Marchand. Blessé au visage en mai 1918, il devint définitivement aveugle, fut laissé pour mort sur le champ de bataille puis interné dans le Nord de l’Allemagne jusqu'à la fin de la guerre.

Revenu à la vie civile, il s’installa en France avec sa femme et son fils, apprit le braille et la dactylographie, s’inscrivit en Sorbonne (1919) et y obtint une licence de philosophie (juin 1921). Devenu professeur, il fut nommé, à la Fère, près de Laon. C’est à partir de 1934 qu’il représenta son canton d’adoption au conseil d’arrondissement de Laon. Profitant d’une démission, il intégra la même année le conseil général de l’Aisne et fut réélu par son canton en 1936. On ne sait exactement ce qui permit la formidable intégration de ce Guadeloupéen à une commune rurale de l’Aisne. Sans doute l’exemplarité de son parcours força t-elle l’admiration de ses concitoyens. On ignore également comment les électeurs de la Fère, percevait l’origine de Bloncourt. Toute la région avait été dévastée par les combats de la Grande guerre, et la Fère était longtemps restée sur la ligne de front. Les coloniaux y bénéficiaient-ils d’un préjugé favorable aux anciens tirailleurs ? Investi en 1935 par un congrès socialiste départemental, Bloncourt fut candidat aux élections législatives de 1936 dans la deuxième circonscription de Laon. Les tracts de la S.F.I.O. le présentèrent comme « né le 5 mai 1896 » sans préciser son lieu de naissance mais en insistant sur son enfance de prolétaire orphelin et sur son parcours exemplaire de mutilé de guerre. Il était alors officier de la Légion d’Honneur. Les rumeurs consignées par les autorités le disaient né à « Basse-Terre, Martinique (sic) ». Max-Clainville Bloncourt, son frère, s’étant également présenté aux élections en Guadeloupe, les gendarmes de cette colonie furent portés à croire qu’il s’agissait du même homme...

Dans sa profession de foi électorale, Bloncourt s’attaquait aux ligues et à la politique déflationniste instaurée par Laval en 1935. Il défendait les salaires, le paiement de retraites décentes, la prolongation de la scolarité, les allocations familiales et la situation des victimes de guerre, catégorie alors pléthorique. Il exaltait en outre le rôle pacifique de la SDN en prévention d’une éventuelle agression de l’Allemagne hitlérienne. Curieusement, et probablement pour séduire un électorat agricole méfiant, ce candidat guadeloupéen proposait une augmentation du contingent betteravier afin de garantir les revenus des planteurs. Sans doute savait-il que, sauf augmentation improbable du quota de la production sucrière française, une telle mesure n’eût été décidée qu’au détriment des sucres coloniaux. A la veille du scrutin, plus de 600 personnes assistèrent à la conférence tenue par Bloncourt dans la petite commune de Chauny. Arrivé en tête au premier tour, il totalisait 37 % des voix contre 31 % à chacun des deux autres candidats. En vertu des accords de Front populaire, un report appréciable des voix radicales, permit au Guadeloupéen d’être élu avec 61 % des suffrages, victoire éclatante pour un candidat immigré. Pendant son mandat, Bloncourt se consacra surtout aux problèmes des pensions militaires, aux problèmes des mutilés de guerre et aux questions coloniales

Absent de Vichy au moment du vote des pleins pouvoirs à Pétain (10 juillet 1940), Bloncourt passa vite dans la clandestinité. Il devint président de la S.F.I.O. pour la zone occupée et contribua à la mise en place du fameux Groupe Libération Nord, dont il fut un des premiers responsables dans le département de l’Aisne. Il organisa ensuite le réseau Brutus chargé de surveiller les mouvements de la Wehrmacht. En 1944, le Conseil national de la Résistance le désigna pour diriger clandestinement le Comité de libération (CDL) de l’Aisne. A Laon, il prit officiellement possession de la préfecture le 30 août 1944. Cinq jours auparavant, à Paris, les combats de rue se poursuivant, il avait officiellement investi les bureaux de la rue Oudinot au nom du Gouvernement provisoire de la République. Ces actions lui valurent de nombreuses décorations (il mourut commandeur de la Légion d’honneur) et un siège de juré à la haute cour de justice. Bloncourt reprit ses fonctions universitaires en 1946, enseignant la philosophie au lycée Charlemagne ou par correspondance. Réélu député de l’Aisne en 1945 aux côtés de son ami Pierre Bloch, il siégea à la commission des territoires d’Outre-mer. Mais l’évolution de la S.F.I.O. le décevait. A l’instar de son frère Max-Clainville voire par un lien atavique qui remontait à son turbulent arrière-grand-oncle (quarante-huitard et communard), Élie Bloncourt revendiquait un socialisme sans concession. Ainsi s’était-il intéressé par le passé à la démarche politique de Marceau Pivert, militant S.F..I.O. révolutionnaire et pacifiste qui avait formé en 1938 le Parti socialiste ouvrier et paysan (P.S.O.P.). Si, comme l’immense majorité des socialistes, Bloncourt ne fut pas au nombre des scissionnistes de 1938, il se montra hostile après-guerre aux tendances modérées de Léon Blum et Daniel Mayer. En 1947, mécontent de la rupture socialo-communiste, il ne se représenta pas aux élections et quitta la S.F.I.O. Il fonda alors le MSUD (Mouvement socialiste unitaire et démocratique devenu ensuite le Parti socialiste unitaire) et publia la Bataille socialiste. Il adhéra ensuite à l’Union de la gauche socialiste, qui rassemblait des chrétiens de gauche, des trotskistes et d’anciens communistes, puis quitta ce mouvement lorsque celui-ci participa à la fondation du Parti socialiste unifié (1958). En 1968, il fut témoin à décharge au procès des dix-huit nationalistes guadeloupéens déférés devant la cour de sûreté de l’État à la suite des sanglants événements de mai 1967. En 1971, à l’âge de 75 ans, Bloncourt rejoignit le Parti socialiste refondé par François Mitterrand au congrès d’Épinay-sur-Seine. Personnage hors du commun, Élie Bloncourt peut être cité au nombre des coloniaux qui s’identifièrent totalement à la nation française et donnèrent des témoignages probants de leur idéal assimilationniste. Mais au contraire d’un Gratien Candace que son assimilationnisme avait conduit à défendre le « Parti de l’Ordre », de la « respectabilité » et des « honnêtes gens », Bloncourt s’intégra tout en contestant le système capitaliste. Il faut avouer que l’accusation d’internationalisme ou de cosmopolitisme rouge ne pouvait guère atteindre le titulaire d’un aussi glorieux cursus.»

Réf : © 1996 - Dominique Chathuant, « Élie Bloncourt », dans Jack Corzani (dir), Dictionnaire encyclopédique Antilles-Guyane, Désormeaux, Fort-de-France, 1992-1998

Bibliographie : Arch. dép. de l’Aisne ; Dubois et Grassi, Le Front Populaire dans l’Aisne, Maîtrise, URCA, Reims, 1974 ; État-civil de Basse-Terre ; Fonds Bouge du Musée des Beaux-Arts de Chartres ; Le Monde, 8 mars 1978 ; Dictionnaire des parlementaires français, P.U.F., Paris, 1960, réed., 1977 ; Dictionnaire des parlementaires français, La Documentation française, 1988, Dominique Chathuant,' « Élie Bloncourt, député guadeloupéen de l’Aisne », conférence, Société historique de Haute-Picardie, Arch Dép. de Laon, mardi 11 mai 1999.